Communiqué : Audience au tribunal de Castres : un moment de vérité (12 juin 2024)
Ce mardi 11 juin 2024 se tenait au tribunal judiciaire de Castres l’audience relative à l’affaire dite de la pollution du Dadou. La présidente de l’Union pour la Protection de la Nature et de l’Environnement du Tarn (UPNET – FNE 81), l’association assignant en justice la société Tarn Enrobés (Eiffage, Eurovia, Spie Batignolles Malet), était présente dans l’assistance, aux côtés de 25 membres et sympathisants du collectif Stop Enrobé 81. La société Tarn Enrobés n’avait envoyé aucun représentant.
Dans une plaidoirie acérée, au plus près de la réglementation et de la jurisprudence, l’avocat de l’UPNET a clairement montré comment la société Tarn Enrobés avait transformé ce qui aurait dû être un accident ponctuel en norme de fonctionnement, provoquant en toute connaissance de cause une pollution continue du Dadou pendant des années.
En réponse, l’avocat de la société Tarn Enrobés, dans l’incapacité de nier l’évidence, n’a eu d’autre choix que d’éviter de traiter du fond de l’affaire. Il a passé sous silence les trois années au moins d’infraction volontaire de Tarn Enrobés à la réglementation. Reconnaissant par là implicitement la responsabilité de la société Tarn Enrobés sans l’admettre ouvertement, il a cherché à minimiser cette responsabilité en ramenant la chose à un incident ponctuel de fonctionnement de la centrale d’enrobés et a insisté sur la réactivité de la société Tarn Enrobés à la suite de l’inspection qui avait révélé l’infraction.
Le tribunal rendra sa décision le 10 septembre prochain.
Le reportage de France 3 Tarn sur l’audience peut être visionné sur le site : stopenrobe81.fr
POUR EN SAVOIR PLUS
Rappel des faits
En février 2023, la DREAL (organisme étatique en charge de la surveillance des centrales d’enrobés) conduisait une inspection à la centrale de Lafenasse. Cette inspection mettait en évidence que Tarn Enrobés, société exploitant la centrale, reversait dans le Dadou des matières dangereuses pour l’environnement, et ce de manière massive (plus du double du seuil autorisé). La pollution durait depuis au moins 2021, peut-être depuis bien plus longtemps.
L’exploitant avait connaissance de cette pollution, puisqu’il disposait d’analyses annuelles des rejets dans le Dadou. C’est en réclamant ces analyses pour les années 2021 et 2022 que l’inspectrice de la DREAL constatait l’infraction.
Apprenant la chose, l’Union pour la Protection de la Nature et de l’Environnement du Tarn (UPNET – FNE 81) demandait en juillet 2023 à Maître Alexandre Faro, avocat spécialiste en droit de l’environnement, d’assigner en justice la société Tarn Enrobés au titre du préjudice subi en tant qu’association de défense de l’environnement. L’UPNET demandait à Tarn Enrobés 6 000 euros de dommages et intérêts. Mais l’intention n’était pas tant d’obtenir réparation que de faire reconnaître par la justice la responsabilité de Tarn Enrobés dans l’infraction commise et dans la pollution du Dadou.
Dans les conclusions écrites rendues en mars 2024 en réponse à cette assignation en justice, les avocats de la société Tarn Enrobés plaidaient une méprise dans la lecture des analyses des eaux rejetées dans le Dadou. « À la lecture de la valeur issue de l’analyse », écrivaient-ils, « une erreur d’interprétation a été commise par Tarn Enrobés ».
Toute « erreur d’interprétation » était cependant impossible. En effet, chaque valeur mesurée dans les eaux rejetées est donnée en valeur absolue (en l’occurrence, 83 mg/l pour 2022) et est à comparer avec un seuil réglementaire également donné en valeur absolue (35 mg/l), comme l’indiquaient les avocats la société Tarn Enrobés eux-mêmes.
Quand l’accident devient norme de fonctionnement
Dans sa plaidoirie au cours de l’audience, Maître Alexandre Faro a tenu à recentrer le débat sur l’infraction de Tarn Enrobés à la réglementation, pour faire contrepoids aux conclusions écrites des avocats de Tarn Enrobés qui, par-delà l’argument de l’« erreur d’interprétation », s’employaient à détourner l’attention du tribunal par de longues arguties juridiques au sujet d’aspects périphériques du dossier.
Il a rappelé que, selon l’arrêté préfectoral d’autorisation d’exploitation de la centrale, « en fonctionnement normal, tout rejet dans le milieu naturel d’effluents non traités est interdit ». En cas de situation exceptionnelle (débordement des bassins de collecte des eaux pluviales), l’arrêté prescrit que les rejets ne doivent pas contenir plus de 35 mg/l de matières en suspension. Or, a souligné Maître Faro, la société Tarn Enrobés, pendant trois années au moins (de 2021 à 2023), a transformé l’exceptionnel en régime ordinaire en rejetant des eaux qui n’étaient pas traitées correctement. Elle a constamment dépassé la valeur limite autorisée pour le rejet de matières en suspension en cas de situation exceptionnelle. Autrement dit, une situation qui aurait dû être accidentelle et temporaire est devenue une norme de fonctionnement. Et Tarn Enrobés n’a consenti à remédier au problème qu’à la suite de l’inspection de la DREAL et de la mise en demeure préfectorale qui a suivi. N’eût été l’inspection de la DREAL, Tarn Enrobés polluerait encore le Dadou.
Maître Faro a par ailleurs observé que la somme demandée par l’UPNET au titre du préjudice subi, 6 000 euros, était peu élevée, bien proportionnée. Il a observé que la somme de 6 000 euros pour trois années au moins d’infraction représentait simplement 2 000 euros par année d’infraction. Il a également rappelé que la loi n’exigeait pas, de la part de l’UPNET, qu’elle apporte la démonstration de la pollution provoquée. Le seul fait, pour Tarn Enrobés, de ne pas avoir respecté la réglementation suffit à constituer un préjudice pour une association de défense de l’environnement.
Tarn Enrobés, un exploitant vertueux ?
Prenant ensuite la parole, Maître Steve Hercé, avocat de Tarn Enrobés et membre du cabinet Boivin & Associés (cabinet spécialisé dans la défense des grands industriels), a formulé la question qui est, pour lui, au cœur du dossier : est-on en présence, dans cette affaire, d’un mauvais exploitant, qui se fiche des questions environnementales, qui ne suit pas sérieusement son exploitation, ou au contraire d’un exploitant rigoureux, dont l’installation a connu, comme peut le connaître toute installation industrielle, un incident ponctuel ?
Maître Hercé a fait silence, tout au long de sa plaidoirie, sur les trois années au moins d’infraction à la réglementation par Tarn Enrobés. Renonçant à invoquer l’argument de « l’erreur d’interprétation », il a choisi de mettre en avant le caractère inévitable d’incidents ponctuels de fonctionnement dans la conduite d’une centrale d’enrobés et a vanté le comportement vertueux de la société Tarn Enrobés qui, à la suite de l’inspection de la DREAL, a fait en sorte de se mettre en conformité avec la réglementation dans les meilleurs délais.
Il a d’autre part affirmé que le dépassement de la norme concernant le rejet de matières en suspension dans le Dadou était minime, qu’aucun impact environnemental n’avait été constaté et que l’UPNET était incapable de justifier d’une quelconque pollution dans le Dadou.
Pour Maître Hercé, tout montre qu’on se trouve dans une situation tout à fait « normale », autour de laquelle il y a eu trop de « désinformation ». L’affaire a été « montée en épingle », a-t-il suggéré, en lien probablement avec la « rébellion » contre le projet d’autoroute A69 et l’implantation de centrales d’enrobés qu’il implique. Aussi a-t-il, en conclusion de sa plaidoirie, invité les journalistes (dont plusieurs étaient présents dans la salle) à ne pas donner trop d’écho au dossier au risque sinon d’amplifier le cas sans raison.
Il a également interpellé le tribunal en déclarant qu’une décision défavorable à Tarn Enrobés serait l’objet de « surinterprétation » qui nuirait à l’image des centrales d’enrobés en général (pression à peine voilée exercée sur le tribunal – ce qui a suscité un murmure de stupeur dans l’assistance – dans un contexte où les pouvoirs publics, les services de la Préfecture du Tarn au premier chef, apportent un soutien explicite aux exploitants de centrales d’enrobés).
Un moment de vérité
Pour les 25 citoyens présents, profondément affectés par l’attitude des services de l’Etat (qui sont supposés garantir l’intérêt général, ainsi que la protection des personnes et de l’environnement, mais qui n’ont eu de cesse de favoriser les intérêts de la société Tarn Enrobés depuis des années), désemparés face à la posture des élus locaux (lesquels ont refusé de s’associer à la procédure d’assignation en justice alors que leur territoire avait été sciemment pollué), cette audience fut un immense réconfort. La société Tarn Enrobés, privée des soutiens institutionnels dont elle bénéficie habituellement et qui s’attachent à ignorer ou minorer ses nombreux manquements à la réglementation, s’est retrouvée nue, dans l’impossibilité de justifier son mode de fonctionnement. Quelle que soit la décision qui sera rendue par le tribunal, on aura assisté, ce 11 juin, à un moment de vérité.
Les membres du collectif Stop Enrobé 81