Comment la centrale Tarn Enrobés de Lafenasse pollue en toute (il)légalité
Épisode 2 : Quand surveiller n’est pas veiller
VOUS AVEZ DIT « CERTIFIÉ » ?
Les rapports de mesures des rejets atmosphériques de la centrale de Lafenasse émanent de l’APAVE, organisme privé d’envergure nationale, agréé par l’État pour la réalisation de contrôles des rejets atmosphériques sur les « installations classées pour la protection de l’environnement » (ICPE).
En d’autres termes, l’APAVE mesure la quantité d’un certain nombre de polluants émis par des installations industrielles, telles que les centrales d’enrobage à chaud, considérées comme dangereuses pour l’environnement et la santé des humains.
Chaque rapport de mesures, préparé par un ou plusieurs techniciens, doit être vérifié et visé, en interne, par un responsable de l’APAVE qui en certifie les résultats. Le rapport est ensuite transmis à l’exploitant ainsi qu’aux services de la Préfecture, lesquels s’en servent de référence pour s’assurer de la conformité de l’installation en termes de rejets atmosphériques.
L’APAVE, lors de chaque contrôle de la centrale, mesure la vitesse des fumées sortant de la cheminée. À partir de cette valeur mesurée, le débit des gaz polluants sera calculé, en tenant compte du diamètre de la cheminée car plus un diamètre de cheminée est grand, plus le flux de gaz est élevé.
Or le rapport de mesures de 2022, qui porte sur un contrôle effectué par l’APAVE le 9 novembre de cette année-là, comporte une erreur sur le diamètre de la cheminée.
Alors que le diamètre annoncé est de 0,88 m – ce qui correspond effectivement au diamètre correct de la cheminée –, ce diamètre est compté comme étant de 0,70 m lorsque les calculs sont réalisés pour les différents polluants. Ce faisant, toutes les valeurs réelles des flux de gaz polluants émis par la centrale sont minorées.
Pour les oxydes de soufre par exemple, le flux n’est pas de 8,33 kg/h comme le veut le rapport de mesures mais de 13,5 kg/h. Ni le responsable de l’APAVE, ni l’exploitant, ni même les services de la Préfecture (qui reprennent le chiffre de 8,33 kg/h dans un rapport d’inspection de la centrale en février 2023) n’ont repéré l’erreur sur le diamètre de la cheminée.
UNE POLLUTION MAL MESURÉE
La valeur réelle de 13,5 kg/h pour les oxydes de soufre en 2022 est proche du flux maximal qui devrait être autorisé pour ce type de gaz (16 kg/h). Or le contrôle ayant donné cette valeur n’a pas été effectué dans des conditions représentatives du fonctionnement ordinaire de l’installation.
Le jour du contrôle (9 novembre 2022), l’installation n’a fonctionné que deux heures seulement. Elle tournait à une cadence faible (110 tonnes par heure, contre 140 à 150 tonnes par heure dans les périodes de production normales). L’enrobé produit ne contenait pas de fraisâts, issus du décapage des routes et qui pourraient exiger une température de chauffe plus élevée. Enfin, une importante opération de maintenance avait été effectuée quelques semaines avant le contrôle, probablement afin d’être dans des conditions optimales pour ce contrôle.
Que serait-il advenu si les conditions représentatives du fonctionnement ordinaire de l’installation avaient été respectées lors du contrôle ? Quels résultats le contrôle aurait-il produit s’il avait été réalisé en période estivale (juillet-août), lorsque la centrale tourne à plein régime ?
Pourquoi l’APAVE et surtout les services de la Préfecture acceptent-ils le calendrier et les conditions fixés par l’exploitant pour la réalisation des contrôles ?
OÙ IL EST QUESTION DE COMPÉTENCE
En 2023, les services de la Préfecture ont été confrontés à une avalanche de signalements par des riverains de la centrale pour pluies de gouttelettes noires, fumées invasives, odeurs nauséabondes et irritations de la gorge et du nez.
Les services de la Préfecture, après avoir d’abord résisté en mettant en doute la réalité des nuisances et pollutions déclarées, ont dû finalement consentir à mettre en place un plan de surveillance de la centrale pour l’année 2024.
Ce plan de surveillance, seuls les acteurs jugés « compétents » ont été associés à son élaboration : les services de la Préfecture, les prestataires de contrôle agréés par l’État (dont l’APAVE) et l’exploitant de la centrale (Tarn Enrobés).
La demande du collectif Stop Enrobé 81, qui proposait que des citoyens participent à l’élaboration du plan de surveillance afin de rendre le processus transparent et crédible, a été refusée sans même être discutée.
De plus, dans un courriel en date du 1er mars 2024 où ils répondaient à une demande du collectif Stop Enrobé 81, les services de la Préfecture se sont déclarés a priori réticents à l’idée qu’un observateur extérieur, membre du collectif, puisse être présent sur site quand les premières mesures de rejets atmosphériques pour ce plan de surveillance seraient réalisées.
Suite de l’enquête demain, avec le troisième volet : 3. Les indices d’une contamination massive et continue.